Comprendre les trajectoires communes d’évolution socio-économique (SSP)

Découvrez la dernière série de scénarios d’émissions basés sur les SSP (Trajectoires communes d’évolution socio-économique, de l’anglais Shared Socio-economic Pathways). Comprenez comment les SSP diffèrent des scénarios RCP et découvrez des considérations clés lors de l’utilisation des SSP dans les évaluations des risques climatiques.

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Sommaire

Découvrez la dernière série de scénarios d’émissions basés sur les SSP (Trajectoires communes d’évolution socio-économique, de l’anglais Shared Socio-economic Pathways). Comprenez comment les SSP diffèrent des scénarios RCP et découvrez des considérations clés lors de l’utilisation des SSP dans les évaluations des risques climatiques.

Introduction

Les ingénieurs, les planificateurs et les décideurs du pays utilisent de plus en plus de données de modélisation climatique pour comprendre les risques accrus des changements climatiques et prendre des mesures d’adaptation, étant donné que les observations historiques seules ne conviennent pas pour évaluer les risques liés au climat futur. Les spécialistes qui emploient des données sur le climat futur souhaitent savoir à quel point il sera différent de l’actuel, et donc l’ampleur du risque que celui-ci est susceptible de présenter dans les prochaines décennies  d’ici la fin du siècle. Malheureusement, les changements à venir du climat dépendent fortement de la manière dont la société croît et se développe, des facteurs qui sont influencés par d’autres, notamment la coopération mondiale pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la volonté politique et les progrès technologiques. Par conséquent, plutôt que d’offrir aux spécialistes un seul ensemble de données sur le climat futur, il est préférable de fournir un éventail de scénarios de changements climatiques qui couvrent divers niveaux d’émissions de gaz à effet de serre. Il est important de connaître ces scénarios, notamment leur définition et les principales différences entre eux, avant d’utiliser des données sur le climat futur.

Trajectoires communes d’évolution socio-économique (SSP)

Les scénarios socio-économiques utilisés aujourd’hui pour caractériser les parcours possibles de développement des sociétés humaines sont appelés trajectoires communes d’évolution socio-économique, ou SSP (de l’anglais Shared Socio-economic Pathways). Les SSP ont été conçues pour être utilisées dans des modèles d’évaluation intégrée complexes. Ces modèles combinent des hypothèses sur les changements possibles de divers facteurs au cours du prochain siècle, incluant lapopulation, le niveau de scolarité, la consommation d’énergie et  la technologie,  à des hypothèses sur le niveau d’ambition en matière d’atténuation des changements climatiques. L’ensemble des facteurs socio-économiques et des niveaux d’ambition sont transposés en scénarios d’émissions de gaz à effet de serre (et de concentrations atmosphériques connexes). Les projections de changements climatiques produites par ces scénarios décrivent un éventail de climats futurs plausibles, allant d’un scénario pessimiste à fortes émissions à un scénario à faibles émissions permettant d’atteindre les cibles de l’Accord de Paris de 2015.

Le présent article vise à présenter les SSP, à expliquer leurs liensavec les profils représentatifs d’évolution de concentration (RCP) employés précédemment, et à guider les spécialistes sur la façon d’utiliser les scénarios répondant à leurs besoins lorsqu’ils extraient des données sur le climat futur de DonneesClimatiques.ca et les appliquent à un processus décisionnel axé sur les risques.

Que sont les SSP?

Comme indiqué plus haut, grâce aux projections climatiques de multiples trajectoires communes d’évolution socio-économique (SSP), les spécialistes qui utilisent des données sur le climat futur peuvent explorer les changements climatiques de tout un éventail d’avenirs très différents. Les SSP sont indispensables aux travaux sur les politiques et l’adaptation au climat pour deux grandes raisons.

En premier lieu, elles décrivent les possibilités en matière de conditions socio-économiques, de changements d’utilisation des terres et d’autres facteurs climatiques anthropiques qui influencent les émissions de gaz à effet de serre, et donc le forçage radiatif. Le forçage radiatif est une façon de représenter la quantité d’énergie excédentaire bloquée dans le système climatique terrestre, due à la variation d’un facteur du changement climatique tel les concentrations de GES.

En second lieu, les SSP décrivent de manière normalisée les caractéristiques socio-économiques influant sur les émissions de gaz à effet de serre (et donc sur le forçage radiatif), illustrant les trajectoires sociétales liées aux différents niveaux de réchauffement. Qui plus est, il est possible d’« appliquer » des mesures d’atténuation potentielles à ces scénarios socio-économiques de référence pour évaluer leur efficacité quant à l’atteinte de certaines cibles, par exemple une « forte probabilité » de respecter les engagements pris au titre de l’Accord de Paris grâce à une limitation de la hausse de température mondiale bien en deçà de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels (SSP1-­1.9).

Des scénarios basés sur les SSP ont été utilisés dans le plus récent ensemble d’expériences de modélisation climatique, connu comme la sixième phase du Projet d’intercomparaison de modèles couplés, ou CMIP6. Les résultats de ces expériences ont formé une base pour l’évaluation des changements climatiques passés et futurs sous-tendant le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Les cinq « familles » de scénarios basés sur les SSP utilisés dans le CMIP6 peuvent être classées selon deux axes généraux : les défis en matière d’atténuation et les défis en matière d’adaptation (figure 1). La famille SSP1 (Durabilité) n’a que de faibles défis en matière d’atténuation et d’adaptation. Dans ces scénarios, les politiques s’axent sur le bien-être humain, les technologies d’énergie propre et la préservation de l’environnement naturel. À l’opposé, la famille SSP3 (Rivalité régionale) se caractérise par de grands défis en matière d’atténuation et d’adaptation. Dans ces scénarios, le nationalisme oriente les politiques et l’accent est mis sur les problèmes régionaux et locaux plutôt que mondiaux. Les autres SSP « remplissent le spectre » des avenirs possibles. La famille SSP4 (Inégalités) est définie par de grands défis en matière d’adaptation et de faibles défis en matière d’atténuation; la famille SSP5 (Développement par les énergies fossiles), par de grands défis en matière d’atténuation et de faibles défis en matière d’adaptation; et la famille SSP2 (À mi-chemin), par des défis moyens en matière d’atténuation et d’adaptation.

Figure 1

Illustration des cinq familles de scénarios basés sur les SSP utilisés dans le CMIP6 et des défis plus ou moins élevés qui leur sont associés en ce qui concerne la mise en œuvre de stratégies d’atténuation ou d’adaptation.

Quelles sont les différences entre les SSP et les RCP?

Les scénarios basés sur les SSP constituent un raffinement des scénarios de concentration des gaz à effet de serre utilisés précédemment, appelés profils représentatifs d’évolution de concentration, ou RCP. Ces derniers ont été explicitement conçus pour que la communauté de la modélisation climatique puisse explorer les effets de différentes trajectoires d’émissions ou concentrations d’émissions (qui donnent lieu à diverses valeurs de forçage radiatif). Les caractéristiques socio-économiques qui ont servi à les définir ne sont pas normalisées, ce qui rend difficile d’associer les changements sociétaux (p. ex. population, éducation, politiques gouvernementales) aux cibles climatiques (p. ex. maintien du réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C). Les SSP règlent ce problème en établissant la façon dont les choix sociétaux peuvent entraîner des changements du forçage radiatif d’ici la fin du siècle. Ainsi, les SSP sont un développement des RCP visant à permettre la comparaison normalisée des choix d’une société et des niveaux de changements climatiques qui en découlent.

Figure 2

Séquence d’information utilisée pour prévoir les niveaux futurs de changements climatiques.

Dans la littérature, les scénarios basés sur les SSP sont nommés sous une certaine forme, dont voici un exemple : SSP5-­8.5. Comme indiqué plus haut, « SSP5 » désigne la trajectoire commune d’évolution socio-économique représentant un monde où les combustibles fossiles sont utilisés de façon intensive – dans ce cas, un monde aussi dominé par des défis en matière d’atténuation. « 8.5 » indique que le forçage radiatif résultant des émissions de gaz à effet de serre de ce scénario s’élève à 8,5 watts par mètre carré, et correspond au RCP8.5.

Dans une famille de SSP donnée, il peut y avoir de multiples scénarios d’émissions menant à différents niveaux de forçage radiatif. C’est ainsi que différentes hypothèses sur les ambitions en matière d’atténuation des changements climatiques peuvent donner lieu à différentes émissions dans un même contexte socio-économique général. Par exemple, les scénarios SSP1-­1.9 et SSP1-­2.6 proviennent tous deux de la même famille socio-économique, soit SSP1 (Durabilité : Prendre la route verte). Ils tiennent cependant compte d’émissions différentes, qui engendrent des valeurs de forçage radiatif différentes (1,9 W/m2 contre 2,6 W/m2) en raison des mesures d’atténuation appliquées.

Figure 3

Modifié de Meinshausen et coll. (2020). Les scénarios de SSP et leurs cinq familles socioéconomiques. L’image montre des exemples de niveaux de température par rapport aux niveaux préindustriels. Y sont indiquées les températures historiques (bande jaune pâle à l’avant), les températures actuelles (2020) [bloc blanc au milieu] et la ramification des scénarios au cours du 21e siècle selon les différentes familles socioéconomiques.

Enfin, le nouvel ensemble de SSP donne à la communauté mondiale de la modélisation climatique une occasion d’évaluer la pertinence des scénarios d’émissions précédents, étant donné que près de vingt ans ont passé depuis leur conception. Un développement notable est l’introduction du scénario SSP1-­1.9, qui décrit une voie socio-économique permettant à la société d’atteindre la cible de l’Accord de Paris de 2015, soit de maintenir le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C (et de poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C), par rapport aux niveaux préindustriels.

Quels scénarios SSP seront sur DonneesClimatiques.ca?

DonneesClimatiques.ca hébergera les projections obtenues à partir de trois scénarios (SSP1-­2.6, SSP2-­4.5 et SSP5-­8.5), illustrés ci-dessous. Ces scénarios ont été choisis parce qu’ils couvrent un large éventail de climats futurs possibles, que de nombreux modèles climatiques différents les ont utilisés pour faire des projections, et que leurs niveaux de forçage radiatif correspondent aux trois RCP (élevé [RCP8.5], moyen [RCP4.5] et faible [RCP2.6]) actuellement utilisés sur DonneesClimatiques.ca.

Figure 4

Illustration des changements de la température mondiale à la surface (par rapport aux niveaux préindustriels) selon les trois scénarios d’émissions basés sur les SSP qui seront accessibles sur DonneesClimatiques.ca. À noter que les incertitudes associées à chaque projection ne sont pas indiquées.

Il y a de légères différences entre les changements de la température moyenne mondiale associés aux RCP et aux SSP ayant des valeurs de forçage radiatif comparables, en raison de l’utilisation d’une combinaison quelque peu différente de gaz à effet de serre dans les SSP et de l’application de modèles climatiques plus récents que ceux employés avec les RCP.

Quels scénarios SSP devrais-je utiliser?

Chaque personne utilisant des données sur le climat futur devra répondre à la question « Quels SSP devrais-je utiliser? ». Pour ce faire, elle devra d’abord réfléchir à deux autres questions : Premièrement, quels éléments du projet sont vulnérables aux changements climatiques? Deuxièmement, quel niveau de risque est acceptable?

Prenons l’exemple d’une route principale. Les conséquences d’une fermeture due à une inondation à récurrence de 100 ans ou à un autre danger environnemental rare mais dommageable peuvent être très importantes et toucher la sécurité alimentaire locale, le PIB national et la sécurité publique. Par conséquent, le planificateur souhaitant protéger cette route contre les menaces climatiques futures pourrait juger qu’il en vaut la peine d’assumer le coût d’adaptation du scénario SSP5-­8.5 (à fortes émissions) jusqu’à la fin du siècle. Cependant, dans d’autres circonstances, quand les conséquences sont moins graves ou que la probabilité de l’événement dommageable est faible, il pourrait être superflu ou non économiquement viable d’adapter ce scénario. Mais, quels que soient le projet et la justification, la question du niveau de risque acceptable est complexe et nécessite certainement de discuter avec les divers partenaires et groupes concernés pour comprendre le vaste éventail des répercussions et implications potentielles.

Il faut aussi tenir compte de l’horizon de planification du projet. Sur des périodes relativement courtes (dans la prochaine décennie), la plage de changements climatiques résultant des différentes SSP est petite. Le choix du SSP est donc moins crucialet ce qui importe c’est d’utiliser au moins l’un d’eux plutôt que de s’appuyer uniquement sur les données historiques. Par contre, les scénarios divergent rapidement après le milieu du siècle, révélant un large éventail de répercussions possibles des changements climatiques.

Dans le cas d’applications non directement liées à l’adaptation, lorsquedéterminer  la vulnérabilité et le risque n’est pas une part importante du projet, le choix du SSP peut être fondé sur d’autres facteurs. Par exemple, le scénario SSP5-­8.5 prévoit le réchauffement climatique le plus élevé, ce qui fait grandement ressortir le signal de changement climatique du bruit de fond de la variabilité naturelle du climat. Pour les projets de recherche visant à trouver une corrélation entre les changements climatiques et un autre événement, ce scénario pourrait être le meilleur choix, car le signal climatique y est le plus fort.

La complexité du système climatique, des modèles climatiques et des facteurs humains ne permet pasd’établir exactement la façon dont le climat changera à l’avenir.

Ce qui est certain, c’est que le climat futur sera différent du climat passé et du climat actuel. Et s’il est essentiel de prendre des mesures pour atténuer les changements climatiques, un certain réchauffement est désormais incontournable, peu importe ce que nous ferons. En évaluant plus d’un avenir potentiel, les planificateurs et les décideurs peuvent améliorer notre préparation à un éventail de possibilités.

Référence

  1. The shared socio-economic pathway (SSP) greenhouse gas concentrations and their extensions to 2500. Geoscientific Model Development, 13(8), 3571–3605. https://doi.org/10.5194/gmd-13-3571-2020.

Pour toute question concernant la sélection de données climatiques historique, veuillez communiquer avec le Centre d’aide des services climatiques.