Tornades et changements climatiques au Canada

Introduction

Les tornades sont parmi les phénomènes météorologiques les plus imprévisibles et les plus violents au Canada et posent des risques économiques et de sécurité publique importants. Les tornades proviennent principalement d’orages supercellulaires. Au Canada, ces types d’orages sont plus généralement observés dans les Prairies, le sud de l’Ontario et le Québec, mais ils peuvent se produire ailleurs si les conditions atmosphériques sont favorables à leur développement. Avec les changements climatiques, les ingrédients atmosphériques qui se combinent pour former ces types d’orages violents et rotatifs sont en train de changer.[1] Ces changements climatiques pourraient modifier à la fois la fréquence et l’intensité des tornades et étendre leur portée géographique.

Cet article fait suite à notre article précédent sur les changements climatiques et les orages au Canada. Il est recommandé de lire d’abord l’article sur les orages.

Que sont les tornades et comment se forment-elles ?

Les tornades sont d’étroits tourbillons d’air qui s’étendent d’un nuage d’orage jusqu’au sol. Elles se produisent souvent au sein de systèmes orageux plus importants, en particulier les orages sévères connus sous le nom de supercellules, qui se caractérisent par un courant ascendant profond et persistant appelé mésocyclone.[2] Il existe d’autres types de tourbillons, notamment les entonnoirs d’air froid, les trombes d’eau et même les pyrotornades (tornades générées par le feu ; encadré 1). Toutefois, cet article se concentrera sur les tornades supercellulaires, car ce sont ces tourbillons qui causent le plus de dégâts et qui représentent donc le plus grand risque pour la sécurité humaine et les infrastructures.

La formation des tornades, également appelée tornadogenèse, est un domaine de recherche actif. La formation des tornades nécessite des conditions atmosphériques très spécifiques. La preuve en est que, bien que la plupart des tornades violentes proviennent d’orages supercellulaires, une étude américaine a montré que moins de 20 % des orages supercellulaires se traduisent par une tornade.[3] Les chercheurs spécialisés dans les tornades connaissent toutefois les éléments de base des tornades :

  1. Instabilité atmosphérique : L’évolution de la température de l’atmosphère en fonction de l’altitude détermine si l’atmosphère est stable ou non. Une atmosphère instable se produit lorsque les températures diminuent rapidement avec l’altitude. Des parcelles d’air relativement chaud s’élèvent alors, ce qui peut entraîner la formation de nuages et d’orages. À l’inverse, si l’atmosphère se refroidit lentement ou si sa température augmente avec l’altitude, l’atmosphère est stable et empêche les mouvements ascendants de l’air. L’instabilité atmosphérique est renforcée lorsque de l’air froid et sec recouvre de l’air chaud et humide en surface. De telles conditions se présentent souvent en été sous le vent des montagnes Rocheuses, où l’air, après avoir été forcé de s’élever, de se refroidir et de s’assécher au-dessus des montagnes, se déplace au-dessus de l’air relativement chaud et humide du centre des plaines américaines et des Prairies canadiennes. Une atmosphère très instable favorise le développement d’orages. Pour en savoir plus sur l’instabilité atmosphérique et son rôle dans la formation des orages, lisez notre précédent article sur les changements climatiques et les orages au Canada..
  2. Lhumidité : Plus il y a d’humidité, plus l’orage peut devenir intense. En effet, une grande quantité d’énergie est libérée lorsque la vapeur d’eau se condense en gouttelettes liquides. Cette énergie, à son tour, maintient une parcelle d’air plus chaude qu’elle ne le serait autrement, augmentant sa flottabilité, ce qui accroît l’instabilité atmosphérique.
  3. Cisaillement du vent : Ce terme fait référence au changement de vitesse ou de direction du vent à mesure que l’on atteint une plus haute altitude.. Lorsque la vitesse du vent augmente avec l’altitude, elle peut créer des mouvements de roulement dans l’air, comme un rouleau à pâtisserie se déplaçant sur une surface. Si la direction du vent change avec l’altitude, elle peut introduire une rotation horizontale (figure 1). Lorsque ces vents tournants interagissent avec le courant ascendant d’un orage, ils peuvent provoquer une rotation de l’ensemble de l’orage. Si cette rotation se poursuit et se renforce, elle peut conduire à la formation d’un orage supercellulaire de longue durée.

Il est difficile de prévoir la formation des tornades, car les modèles météorologiques n’ont pas la résolution à fine échelle nécessaire pour représenter le mouvement complexe de l’air au sein des tempêtes convectives. Toutefois, les progrès réalisés dans les techniques d’assimilation des données et la modélisation à haute résolution permettent de surmonter ces limites. Cela dit, il est encore difficile de prédire plus de quelques heures à l’avance exactement quand et où une tornade se développera, quelle sera sa force ou la trajectoire précise qu’elle suivra.

Encadré 1 : En août 2023, des chercheurs du Northern Tornadoes Project (NTP) ont confirmé le premier cas de tornade générée par un incendie au Canada, survenu près de Gun Lake en Colombie-Britannique. Ce phénomène rare, appelé pyrotornade, s’est formé à partir d’un vortex au-dessus ou près d’un feu de forêt. Le NTP de l’université Western étudie les effets des changements climatiques sur les tornades au Canada.

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Tornades au Canada

Le Canada connaît environ 80 tornades par an, ce qui en fait l’un des pays les plus exposés aux tornades dans le monde.[4] La plupart des tornades sont observées dans les Prairies, le sud de l’Ontario et le sud du Québec. Ces régions connaissent une saison des tornades qui s’étend d’avril à septembre, avec une activité maximale pendant les mois d’été, correspondant au pic d’activité des orages sévères. Si la plupart des tornades canadiennes sont petites et de courte durée, certaines sont très puissantes et destructrices (encadré 2).

Encadré 2 : Les tornades sont classées selon l’échelle de Fujita (F) et l’échelle de Fujita améliorée(EF, pour Enhanced Fujita, en anglais), qui sont basées sur les vitesses de vent estimées et les dommages causés aux structures et à la végétation. L’échelle de Fujita originale, qui va de F0 à F5, a été mise au point en 1971 et classait les tornades en fonction des dégâts observés. En 2007, l’échelle de Fujita améliorée a été introduite pour fournir une évaluation plus précise de la force des tornades en incorporant des indicateurs de dommages plus détaillés. L’échelle EF va également de EF0 à EF5, EF0 indiquant les tornades les plus faibles et EF5 les plus destructrices.

Le Canada a connu plusieurs tornades importantes et dommageables au cours de son histoire :

  • Cyclone de Regina (1912) : Connue comme la tornade la plus meurtrière de l’histoire du Canada, cette tornade de catégorie F4 a traversé Regina le 30 juin 1912, laissant un chemin de destruction large de cinq pâtés de maisons. Elle a fait 28 morts, 200 blessés, environ 2 500 sans-abri et quelque 500 bâtiments détruits.
  • Tornade d’Edmonton (1987) : Le 31 juillet 1987, Edmonton a été frappée par une puissante tornade de catégorie F4, qui est devenue l’une des plus destructrices de l’histoire du Canada. Cette tornade a fait 27 morts et environ 300 blessés, causant d’importants dégâts dans toute la région.
  • Tornade d’Elie (2007) : La tornade d’Elie, au Manitoba, survenue le 22 juin 2007, est la seule tornade de catégorie F5 enregistrée au Canada. Bien que la tornade ait causé d’importants dégâts matériels, aucun décès ou blessure grave n’a été signalé.
  • Tornade de Didsbury (2023) : La tornade la plus importante au Canada en 2023 a été la tornade EF4 de Didsbury, en Alberta, qui s’est produite dans l’après-midi de la fête du Canada (1er juillet). Documentée par l’équipe de terrain du Northern Tornado Project (NTP), cette supercellule à déplacement lent a émergé des contreforts des Rocheuses et s’est déplacée vers l’est. Une étude approfondie menée par le NTP, en collaboration avec le Centre de prévision des intempéries des Prairies et de l’Arctique duECCC, a conclu à une intensité EF4, compte tenu des dommages subis par des structures bien construites, notamment une maison d’habitation qui s’est totalement effondrée. La tornade a suivi une trajectoire de 15,3 km de long et de 620 m dans sa plus grande largeur, touchant douze résidences – trois détruites, quatre inhabitables et cinq endommagées. [5]

Quel sera l'impact des changements climatiques sur les tornades au Canada ?

L’influence des changements climatiques sur la formation et l’intensification des tornades est un sujet complexe qui fait l’objet de nombreuses recherches. À mesure que le climat continue de se réchauffer, on s’attend à des changements dans les catalyseurs clés des tornades, à savoir l’instabilité, l’humidité et le cisaillement du vent. Ces changements pourraient potentiellement modifier la fréquence, l’intensité et la répartition géographique des tornades, bien que l’étendue et la nature de ces changements restent très incertaines.

L’augmentation des températures de surface peut renforcer l’instabilité atmosphérique, ce qui peut entraîner des orages plus fréquents et plus sévères. L’air plus chaud contient davantage d’humidité, ce qui se traduit par des taux d’humidité plus élevés. Cette augmentation de l’humidité peut fournir plus d’énergie aux orages, ce qui peut conduire à des tempêtes plus intenses si les conditions sont favorables. Les changements climatiques sont également susceptibles d’influer sur le cisaillement du vent. Une diminution possible du cisaillement du vent à cause d’ une réduction du gradient de température entre les pôles et l’équateur a été citée comme un facteur susceptible d’atténuer la formation d’orages sévères dans certaines régions de l’Amérique du Nord.

En outre, les changements dans les configurations du courant-jet induites par les changements climatiques peuvent influencer l’activité des tornades, en modifiant potentiellement la répartition géographique et le calendrier des tornades. Par exemple, la saison des tornades pourrait commencer plus tôt que d’habitude.  Les régions les plus septentrionales de l’Ontario, du Québec et des Prairies pourraient devenir plus sujettes aux tornades à mesure que les conditions météorologiques se déplacent vers le nord et que les températures augmentent. Cela dit, l’impact cumulatif de ces changements sur la formation des tornades n’est pas encore bien compris.

Plusieurs autres facteurs, au-delà des changements dans les déterminants de conditions météorologiques dangereuses, compliquent la détermination de l’impact du changement climatique sur l’activité des tornades :

  1. Données limitées : La rareté des données à long terme sur les tornades rend difficile l’établissement de tendances claires en matière de fréquence ou d’intensité des tornades (encadré 3).
  2. Limites de la modélisation : En raison de leur résolution spatiale grossière, les modèles climatiques ne rendent pas compte des conditions atmosphériques à petite échelle et à évolution rapide qui sont à l’origine de la formation des tornades.
  3. Interactions atmosphériques complexes : Les tornades sont attribuables à l’interaction de multiples éléments atmosphériques. La modélisation de ces interactions reste un défi important.

Encadré 3 : Climatologie historique des tornades. Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a publié un catalogue des tornades couvrant les années 1980 à 2009, qui documente 1 839 événements de tornade au Canada au cours de cette période. Cheng et al. (2013) ont constaté que les prévisions historiques de l’occurrence des tornades dans les zones peuplées sont fiables et ne présentent pas de biais de sous-estimation important. Cependant, dans les zones moins peuplées, l’étude montre que la probabilité d’occurrence des tornades est considérablement plus élevée que ce qui est représenté dans l’enregistrement des données sur 30 ans. [6]

Tornado Map

Figure : (disponible en anglais uniquement) Tornades confirmées et probables de 1980 à 2009, mettant en évidence les régions sujettes aux tornades au Canada. Sills, David, « Tornades au Canada : Améliorer notre compréhension » (2013). Environnement Canada.

 

Conclusion

En bref, les changements climatiques ont un impact sur les processus atmosphériques qui sous-tendent la formation des tornades.  Certains de ces changements pourraient augmenter la fréquence, l’intensité et l’étendue spatiale de la formation des tornades, tandis que d’autres pourraient en diminuer la probabilité. La compréhension de l’impact cumulatif des changements projetés dans les conditions atmosphériques sur la formation des tornades est un domaine de recherche actif.

[1] Diffenbaugh, N. S., Trapp, R. J., & Brooks, H. (2011). Does global warming influence tornado activity? Eos, Transactions American Geophysical Union, 92(22), 233. https://doi.org/10.1029/2008EO530001

[2] NOAA National Severe Storms Laboratory. Severe Weather 101: Tornado. Retrieved on May 28 from: https://www.nssl.noaa.gov/education/svrwx101/tornadoes/

[3] https://www.nssl.noaa.gov/education/svrwx101/tornadoes/types/

[4] https://www.publicsafety.gc.ca/cnt/mrgnc-mngmnt/ntrl-hzrds/trnd-en.aspx

[5]https://ir.lib.uwo.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1006&context=ntp_reports

[6] Cheng, V. Y. S., Arhonditsis, G. B., Sills, D. M. L., Auld, H., Shephard, M. W., Gough, W. A., & Klaassen, J. (2013). Probability of Tornado Occurrence across Canada. Journal of Climate, 26(23), 9415-9428. https://doi.org/10.1175/JCLI-D-13-00093.1