Au cours des dernières décennies, le Canada a connu une augmentation des sinistres catastrophiques assurés, les risques liés aux orages, notamment les fortes pluies, les vents violents et la grêle, constituant une part importante de ces sinistres [1].Cet article synthétise les connaissances scientifiques actuelles et les résultats de recherches récentes afin d’évaluer les impacts du changement climatique sur les principaux ingrédients atmosphériques nécessaires à la formation d’orages au Canada : l’humidité, l’instabilité atmosphérique, un élément déclencheur et le cisaillement du vent.
Ingrédients de l'orage
Les orages et les dangers qui leur sont associés, notamment la grêle, les vents violents, les pluies diluviennes, les tornades et la foudre, représentent des risques importants pour les infrastructures, l’agriculture et les communautés à travers le Canada. La formation de ces tempêtes convectives dépend d’un ensemble spécifique de conditions atmosphériques : disponibilité de l’humidité, instabilité atmosphérique, mécanisme de déclenchement et, pour les orages violents, cisaillement du vent adéquat. On s’attend à ce que les changements climatiques modifient ces conditions et influent sur la fréquence, l’intensité et la durée des orages.
Notre série sur les dangers fait le lien entre les données climatiques et les dangers météorologiques afin d’améliorer les connaissances des Canadiens en matière de climat.
En comprenant les conditions préalables à la formation des orages, nous pouvons mieux anticiper l’impact que le changement climatique pourrait avoir sur la fréquence, l’intensité et la localisation de ces tempêtes dans un climat en changement.
1. L'humidité
Une humidité suffisante est un premier ingrédient clé. Plus l’humidité est importante, plus l’orage peut devenir intense. Étant donné que la capacité de l’atmosphère à retenir l’humidité augmente d’environ 7 % pour chaque 1 °C de réchauffement (relation dite de Clausius-Clapeyron), on s’attend à ce qu’une atmosphère plus chaude soit également plus humide. Les températures chaudes augmentent les taux d’évaporation des masses d’eau et la transpiration des cultures agricoles et des forêts, ce qui accroît encore le potentiel d’une teneur élevée en vapeur d’eau dans l’atmosphère. Pour ces raisons, les climatologues s’attendent à ce que les orages produisent à l’avenir des quantités accrues de précipitations dans certaines régions [2],[3].
2. Instabilité atmosphérique
Par une belle journée d’été, la surface de la Terre se réchauffe sous l’effet du rayonnement solaire. L’air chaud à la surface est moins dense que l’air froid et s’élève donc. Il est important de noter qu’en s’élevant, l’air se refroidit également. Cela est dû au fait que la pression atmosphérique diminue avec l’altitude, ce qui entraîne une expansion de la parcelle d’air, c’est-à-dire que la même quantité de chaleur occupe désormais un volume plus important. C’ ce qu’on appelle le refroidissement adiabatique, qui consiste à modifier la température de l’air sans changer son contenu thermique. Si l’air se refroidit trop vite, il ne restera plus aussi chaud que son environnement et son ascension ralentira ou s’arrêtera.
Les météorologues décrivent l’énergie (le « carburant ») disponible pour que les parcelles d’air s’élèvent dans l’atmosphère sous le nom d’EPCD, abréviation de l’expression « énergie potentielle de convection disponible », ou en anglais « CAPE » pour « Convective Available Potential Energy ». Elle décrit l’instabilité de l’atmosphère et fournit une approximation de la force du courant ascendant au sein d’un orage. L’énergie d’inhibition de la convection (EIC) est la quantité d’énergie nécessaire pour initier la convection, pour soulever une parcelle d’air jusqu’à son niveau de convection libre (NCL). Des valeurs élevées d’EPCD indiquent un plus grand potentiel de temps violent, et donc l’EPCD est une autre mesure de l’intensité potentielle d’un orage. En général, les valeurs d’EPCD basées sur la surface (« surface-based CAPE», en anglais) (ou « SB-CAPE ») de 1000 J/kg ou plus ont suffisamment d’énergie pour former des orages, tandis que les valeurs de SB-CAPE de plus de 2500 J/kg sont associées à des orages violents.
Des valeurs élevées d’EPCD peuvent être dues à des températures de surface élevées causées par le chauffage solaire. Le rôle de la vapeur d’eau dans le calcul de l’EPCD est cependant moins évident. Lorsque l’air se refroidit jusqu’à son point de saturation (100 % d’humidité relative ou température du point de rosée), tout refroidissement supplémentaire entraîne une condensation qui libère de la chaleur dans l’air et maintient une parcelle d’air plus chaude qu’elle ne le serait autrement.
Les conditions sont particulièrement favorables à des valeurs élevées d’EPCD lorsque de l’air froid et sec recouvre de l’air chaud et humide en surface. De telles conditions se rencontrent souvent en été sous le vent des montagnes Rocheuses, où l’air, après avoir été forcé de s’élever, de se refroidir et de s’assécher au-dessus des montagnes, se déplace au-dessus de l’air relativement chaud et humide du centre des plaines américaines et des Prairies canadiennes. Cette configuration contribue à l’existence de la « Tornado Alley », où non seulement il y a suffisamment d’humidité se déplaçant vers le nord depuis le golfe du Mexique, mais où la juxtaposition d’air froid et sec en altitude renforce le contraste entre les conditions de surface et de haute atmosphère.
Qu’est-ce que l’EPCD ?
L’EPCD est une mesure de la quantité d’énergie potentielle de convection disponible. La convection est un processus qui implique le mouvement ascendant de l’air chaud et humide. Il s’agit d’un ingrédient clé dans la formation des orages. Des températures de surface plus chaudes peuvent entraîner une évaporation plus importante, ce qui augmente l’humidité dans l’air. Lorsque cet air chaud et humide s’élève et se refroidit, la vapeur d’eau se condense en nuages. Plus l’EPCD est élevée, plus l’énergie potentielle disponible est importante pour déclencher des phénomènes météorologiques violents, notamment des orages.
Le réchauffement climatique, en augmentant les températures de surface et l’humidité par évaporation, peut entraîner une augmentation de l’EPCD, rendant ainsi l’atmosphère plus propice aux orages violents.
As global warming increases surface temperatures and increases humidity via evaporation, it can lead to an increase in CAPE, potentially making the atmosphere more conducive to severe thunderstorms.
Tendances observées de l’EPCD aux États-Unis.
Une étude réalisée par Climate Central a révélé que, depuis 1979, l’est des États-Unis a connu une augmentation du nombre de jours avec des valeurs d’EPCD élevées, en particulier au printemps et en été, en corrélation avec un potentiel d’orage accru. En revanche, l’ouest des États-Unis a connu une diminution du nombre de ces jours. Une tendance similaire est attendue pour le sud du Canada. Pour une vue d’ensemble détaillée, visitez Climate Central (en anglais seulement).
Données historiques mondiales sur l’EPCD
L’ensemble de données de réanalyse ERA5 de l’ECMWF est une ressource mondiale qui fournit des données météorologiques et climatiques historiques, y compris l’EPCD. Les environnements orageux typiques présentent des valeurs d’EPCD supérieures à 1000 J/kg, avec des extrêmes dépassant 5000 J/kg. L’accès à ce jeu de données est disponible via le Copernicus Climate Data Store. (en anglais seulement)
Orages : comment se forment-ils ?
Des valeurs d’EPCD élevées et une humidité suffisante ne signifient pas toujours qu’un orage se formera. Il est important qu’il y ait une accumulation d’air chaud et humide qui se libère rapidement, un peu comme si on ouvrait une vanne sur un récipient de gaz comprimés ; sans cela, l’énergie se dissipe lentement, ce qui réduit le potentiel de temps violent. Les météorologues utilisent le terme « plafond » pour désigner une petite quantité d’énergie d’inhibition de la convection, ou EIC, qui empêche la convection libre de se produire, permettant ainsi à l’énergie de s’accumuler. Le dépassement du plafond est donc un ingrédient essentiel à la formation d’un orage. Souvent, on y parvient grâce à ce que l’on appelle un « déclencheur ».
3. Déclencheurs
Un déclencheur est un mécanisme qui déclenche un mouvement ascendant rapide de l’air, surmontant un plafond et catalysant le processus de soulèvement. Il existe de nombreuses façons de déclencher une tempête, mais les plus courantes sont les montagnes, les zones de vents convergents et les fronts météorologiques.
Les montagnes servent de déclencheurs efficaces en forçant l’air à monter et à se condenser. C’est pourquoi le côté au vent d’une chaîne de montagnes reçoit beaucoup plus de précipitations que son côté sous le vent. Cependant, même des variations topographiques modestes peuvent jouer un rôle de déclencheur ; parfois, une variation de quelques mètres d’altitude seulement peut faire la différence.
Les zones de convergence, c’est-à-dire les régions où les courants d’air provenant de plusieurs directions se rencontrent, constituent un autre type de déclencheur courant. Lorsque l’air de surface entre en collision, il ne peut aller que vers le haut. Ces vents verticaux soulèvent l’air chaud et humide de la surface.
Les zones frontales, qui délimitent les frontières entre deux masses d’air présentant des profils de température et d’humidité distincts, peuvent également servir de déclencheurs. Les fronts froids, où une masse d’air froid avance dans une masse d’air plus chaud, et les fronts chauds, où de l’air chaud se déplace dans une région d’air froid, sont les deux types de fronts les plus courants. En raison de sa densité plus élevée, l’air froid déplace rapidement l’air chaud à la surface, soulevant ainsi l’air chaud, ce qui fait de l’intersection des fronts des déclencheurs particulièrement efficaces de l’activité convective.
Orages au Québec
L’impact des changements climatiques sur les orages au Québec fait l’objet de recherches continues. Les projections des modèles suggèrent que le réchauffement des températures pourrait accroître l’instabilité atmosphérique, ce qui pourrait entraîner une augmentation de la fréquence des orages. Cela correspondrait aux simulations indiquant une augmentation de la fréquence et de l’intensité des précipitations abondantes et de courte durée dans une grande partie de la province. Toutefois, des incertitudes subsistent quant aux changements dans la force des vents violents et des éclairs associés aux orages, et aucun consensus scientifique n’a encore été atteint sur ces aspects.
Pour des informations plus détaillées, vous pouvez consulter la page d’Ouranos sur les orages et la foudre.
4. Cisaillement du vent
L’humidité, l’instabilité et un mécanisme de déclenchement sont nécessaires pour générer des orages capables de provoquer des pluies diluviennes, des éclairs et des vents violents. Cependant, la formation des orages les plus violents, capables de produire des vents violents et des tornades, nécessite l’ajout d’un ingrédient supplémentaire : le cisaillement du vent. Le cisaillement du vent désigne les variations de la vitesse ou de la direction du vent, ou des deux, en fonction de l’altitude. En règle générale, les vents s’accélèrent en altitude en raison de la réduction de la friction avec la surface de la Terre, où le terrain, la végétation et les structures introduisent une résistance.
Le rôle du cisaillement du vent dans le développement des orages violents est complexe. Dans un scénario simplifié sans cisaillement du vent, l’air chaud et humide qui s’élève se refroidit, se condense et précipite en un seul endroit. La pluie froide éteint effectivement l’orage. Avec des vents plus forts en altitude, il est possible que la tempête s’incline, ce qui éloigne la pluie de sa source de chaleur et d’humidité en surface. Cette séparation entre le courant ascendant (air chaud ascendant) et le courant descendant (pluie froide) permet à la tempête de se maintenir et de se développer, malgré l’effet refroidissant des précipitations. En outre, les vents dont la direction varie en fonction de l’altitude peuvent induire une rotation au sein de l’orage, le transformant en un système violent appelé supercellule. Les orages supercellulaires peuvent produire de violentes tornades.
Quel sera l’impact du changement climatique sur le cisaillement du vent ?
L’Arctique se réchauffe environ trois fois plus vite que la moyenne mondiale, un phénomène souvent appelé « amplification arctique ». Ce phénomène a plusieurs effets, notamment la fonte de la glace et de la neige, mais il affecte également les schémas de circulation atmosphérique. Le réchauffement de l’Arctique réduit les différences de température de l’air de surface entre l’Arctique circumpolaire et les latitudes moyennes, ce qui affecte le courant-jet et, théoriquement du moins, réduit le cisaillement du vent aux latitudes moyennes. Le cisaillement du vent est un facteur essentiel dans le développement et la gravité des orages, en particulier dans leur organisation et leur maintien. Par conséquent, les changements dans le cisaillement du vent dus aux modifications du courant-jet induites par le climat pourraient influencer la configuration des orages. Toutefois, cet impact est régional et des recherches supplémentaires sont nécessaires. https://climate.nasa.gov/news/897/severe-thunderstorms-and-climate-change/ (en anglais seulement)
Orages supercellulaires
Les orages supercellulaires sont une catégorie distincte d’orages convectifs caractérisés par un courant ascendant profond et rotatif, appelé mésocyclone. Les supercellules peuvent durer plusieurs heures et produire des grêlons importants, des pluies torrentielles, des vents violents et des tornades. Bien que les supercellules puissent se former n’importe où dans des conditions adéquates, elles sont plus fréquentes dans des régions comme les Grandes Plaines des États-Unis et le sud des Prairies canadiennes.
Conclusion
Le changement climatique devrait affecter les tempêtes convectives au Canada en modifiant les principales conditions atmosphériques nécessaires à leur formation, notamment la disponibilité de l’humidité, l’instabilité atmosphérique et le cisaillement du vent.
Les modèles climatiques prévoient une augmentation de l’énergie potentielle de convection disponible (EPCD) dans de nombreuses régions d’Amérique du Nord, ce qui laisse présager des orages plus fréquents et plus violents à l’avenir. Parallèlement à l’EPCD, les modèles climatiques indiquent que les précipitations extrêmes sont susceptibles d’augmenter en fréquence et en gravité dans de nombreuses régions du Canada. Cette augmentation est souvent attribuée à la relation Clausius-Clapeyron, le principe selon lequel une atmosphère plus chaude a une plus grande capacité à retenir l’humidité.
Le cisaillement du vent, crucial pour le développement d’orages violents, y compris les supercellules, est plus difficile à modéliser et à étudier. On s’attend généralement à ce que l’amplification arctique entraîne une diminution du cisaillement du vent dans les latitudes moyennes, ce qui pourrait réduire la fréquence des orages violents à certains endroits. Dans de nombreuses régions, des études suggèrent que l’augmentation de l’EPCD peut être suffisante pour surmonter les changements de cisaillement, ce qui se traduit par des orages plus violents. Alors que certaines régions du Canada pourraient bénéficier d’un environnement de plus en plus propice aux phénomènes météorologiques violents en raison du réchauffement de l’atmosphère au cours du siècle prochain, l’interaction de nombreux facteurs, y compris le cisaillement du vent, introduit des complexités qui font qu’il est difficile de savoir avec certitude comment les risques d’orage sont susceptibles de changer à l’avenir, à mesure que la planète continue de se réchauffer. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre dans quelle mesure les changements climatiques auront un impact sur l’intensité et la fréquence des orages dans des endroits particuliers du Canada.
L’article « Future Global Convective Environments in CMIP6 Models » de Lepore et al. examine l’impact global du changement climatique sur les conditions propices aux orages convectifs violents à l’aide des projections du modèle CMIP6. Les résultats montrent qu’avec chaque degré Celsius d’augmentation de la température mondiale, la fréquence des environnements favorables aux phénomènes météorologiques violents pourrait augmenter de 5 à 20 %. Cette augmentation est plus prononcée dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord, où elle est principalement due à une augmentation substantielle de l’EPCD. Cette étude met en évidence la relation complexe entre le réchauffement climatique et les conditions atmosphériques susceptibles d’entraîner des phénomènes météorologiques violents, ce qui montre la nécessité de poursuivre les recherches et d’affiner les techniques de modélisation.
Lepore, C., Abernathey, R., Henderson, N., Allen, J. T., & Tippett, M. K. (2021). Future Global Convective Environments in CMIP6 Models. Earth’s Future, 9(12), e2021EF002277.
[1] Bureau d’assurance du Canada, 2022. Les intempéries de 2021 ont causé 2,1 milliards de dollars de dommages assurés (ibc.ca)
[2]Lepore, C., Abernathey, R., Henderson, N., Allen, J. T., & Tippett, M. K. (2021). Future Global Convective Environments in CMIP6 Models. Earth’s Future, 9(12), e2021EF002277. https://doi.org/10.1029/2021EF002277
[3] La quantité réelle de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère un jour donné dépend de la disponibilité de l’humidité, qui dépend de plusieurs autres facteurs, et pas seulement de la température atmosphérique. Dans des régions comme les Prairies canadiennes, l’advection d’humidité en provenance du golfe du Mexique peut être la principale source d’humidité atmosphérique pendant les mois d’été, par exemple.