Routes de glace hivernales dans le nord de l'Ontario

Les changements climatiques présentent des défis importants pour l'exploitation et l'entretien des routes de glace hivernales dans le nord du Canada. Les communautés nordiques ont besoin de données et d'outils pour évaluer la viabilité future des routes de glace. Cette étude de cas définit et explore un indice climatique qui peut servir aux évaluations des risques climatiques pour les communautés nordiques.

Auteurs collaborateurs : Elaine Barrow, Nathalie Bleau, Jessie Booker, Taylor Livingston, Lindsay Matthews, Stacey O'Sullivan, Amanda Patt, Kari Tyler.

Résumé

Les routes de glace hivernales sont généralement en service de janvier à mars et représentent un moyen d’accès essentiel pour les communautés nordiques éloignées. Les routes de glace hivernales desservent 31 communautés éloignées des Premières Nations dans le nord de l’Ontario, qui dépendent de ces routes pour le transport économique des matériaux pendant les mois d’hiver. Le réchauffement climatique a déjà affecté la durée pendant laquelle les routes hivernales peuvent rester opérationnelles.

L’analyse de l’accumulation des degrés-jours de gel (DJG) selon différents scénarios d’émissions peut fournir une indication de la viabilité et de la longévité des routes d’hiver dans le futur. Ce type d’information est important à prendre en considération dans la planification et la prise de décisions à long terme des communautés.

Historique

Les routes de glace hivernales dans le nord de l’Ontario relient 31 communautés éloignées des Premières Nations qui, autrement, ne sont accessibles que par avion. Les routes d’hiver sont généralement en service de janvier à mars et sont essentielles pour les communautés qu’elles desservent, car elles réduisent le coût des biens et des services en permettant le transport terrestre de marchandises lourdes et volumineuses pendant les mois d’hiver. Les dirigeants des communautés des Premières Nations signalent déjà une réduction de la durée pendant laquelle les routes d’hiver sont accessibles en raison du réchauffement et s’inquiètent des répercussions sur le coût et la qualité de vie.

« Climate change has dramatically reduced the length of time winter roads are accessible, causing shortages of food, fuel, and medical supplies and increasing the need to fly in supplies.
This results in higher living costs and potential decreases in quality of life and health. »

–Isadore Day, chef régional de l’Ontario pour l’Assemblée des Premières Nations

Le réchauffement affecte et affectera considérablement la construction, l’entretien et l’utilisation des routes en hiver. Les tendances au réchauffement et les diminutions associées à la durée des saisons des routes d’hiver continueront donc d’avoir des impacts importants sur les communautés, car les routes d’hiver sont la méthode la plus économique pour le transport des fournitures.

Comme le réchauffement climatique a déjà un impact sur la construction de routes d’hiver, pendant combien de temps les routes d’hiver seront-elles un moyen viable d’accéder aux communautés qu’elles desservent ?

Le défi de répondre à cette question est d’identifier les variables et les seuils des changements climatiques qui sont des indicateurs appropriés de la durée d’exploitation de ces routes. L’ouverture des routes d’hiver dépend en grande partie d’une formation suffisante de glace avant la construction, tandis que le moment et la durée d’exploitation de ces routes sont affectés par divers autres facteurs climatiques, notamment la température de l’air, les précipitations, la neige et le vent.

Des recherches ont été menées pour analyser les tendances des dates d’ouverture de la route d’hiver de la baie James en corrélation avec la température de l’air. L’analyse a révélé qu’un minimum de 380 degrés-jours de gel (DJG) en dessous de 0°C (voir encadré 1) pendant la période de préconditionnement de la route était un facteur déterminant pour une période de construction favorable (historiquement, la période de préconditionnement était du 1er octobre au 31 décembre). Cependant, la période de préconditionnement pourrait se déplacer en janvier à mesure que le climat se réchauffe et la période de fonte printanière commencera, quant à elle, plus tôt que par le passé. L’analyse ci-dessous se concentre sur les changements dans le calendrier d’atteinte de ce seuil de 380 DJG pendant la période de préconditionnement.

Connaissant cette valeur seuil, il est possible d’explorer des scénarios qui examinent la viabilité et la longévité des routes d’hiver au cours du prochain siècle. Les accumulations de DJG commençant après le 30 septembre (le début traditionnel de la période de préconditionnement) ont été examinées pour plusieurs communautés desservies par des corridors de routes d’hiver (voir à droite : Big Trout Lake, Lansdowne House, Moosonee, Red Lake et Kapuskasing), afin d’évaluer les tendances des accumulations de DJG historiques et projetées. Les résultats de cette analyse révèlent que la date à laquelle la construction de la route de glace pourra commencer changera au cours du siècle.

Encadré 1 : Les degrés-jours de gel (DJG) commencent à s’accumuler lorsque la température moyenne quotidienne descend en dessous d’un certain seuil (généralement 0°C). Si la température moyenne d’un jour est de -21 °C, par exemple, cela augmente la valeur DJG annuelle de 21. Les jours où la température moyenne est de 0 °C ou plus ne contribueront pas à la somme annuelle.

Des valeurs élevées de DJG sont associées à des conditions relativement froides et impliquent probablement une plus grande accumulation de neige et de glace. Si les projections montrent une diminution des DJG, il est probable que cet endroit connaîtra des hivers plus courts ou moins rigoureux.

Résultats

Lorsqu’on évalue les tendances des accumulations de DJG à partir du 1er octobre, on projette que l’accumulation de 380 DJG se produira plus tard dans l’année pour toutes les communautés pour tous les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, par rapport aux conditions historiques. Par exemple, en utilisant le scénario d’émissions élevées (RCP 8.5), le début de la construction des routes de glace, d’ici la fin du siècle, pourraient avoir lieu entre trois et quatre semaines plus tard pour les cinq communautés (tableau 1). Cette analyse est basée sur la date médiane à laquelle les accumulations de DJG atteignent 380 DJG depuis le début de la période de préconditionnement (1er octobre). Pour Moosonee, Red Lake et Kapuskasing, l’implication de cette période de gel plus tardive est que la construction ne pourrait commencer qu’à la mi-janvier. Pour Big Trout Lake et Lansdowne House, les dates de début de la construction pourraient être reportées à la fin décembre et au début janvier, respectivement.

Tableau 1. Date médiane à laquelle 380 degrés-jours de gel (Tmean ≤ 0°C) ont été accumulés depuis le 1er octobre selon le scénario RCP 8.5

En visualisant les informations pour ces emplacements pour tous les scénarios d’émissions (figure 1), on constate que pour les scénarios d’émissions plus faibles (RCP 2.6 et 4.5), la construction de routes de glace pourrait aussi être retardée, mais dans une bien moindre mesure que dans le cadre du scénario d’émissions élevées (RCP 8.5). Voir l’encadré 2 pour une explication détaillée de la comparaison de l’ensemble de données historiques interpolées sur grille (ANUSPLIN) en orangé avec les données futures projetées telles qu’illustrées à la figure 1.

Figure 1. Accumulation de degrés-jours de gel pour cinq communautés

Ci-haut à gauche : Jour de l’année où les cumuls de DJG (Tmoyen ≤ 0 °C) sont supérieurs à 380 (à partir du 1er octobre) pour Big Trout Lake, Lansdowne House, Moosonee, Red Lake et Kapuskasing. Différentes couleurs réfèrent à différents scénarios d’émissions futures (RCP), les lignes épaisses indiquent la médiane multimodèles et un ombrage plus clair indique la plage multimodèles. Les données historiques interpolées sur grille (ANUSPLIN) sont indiquées par une ligne continue orange, les données historiques modélisées sont affichées en gris. Voir l’encadré 2 pour des informations importantes sur la comparaison entre les données historiques et les données projetées. Ci-bas à droite : Emplacement des communautés de Big Trout Lake, Lansdowne House, Moosonee, Red Lake et Kapuskasing dans le nord de l’Ontario.

À l’aide de la variable « Date de dépassement des degrés-jour » sur la page Analyser (voir l’encadré 3 ci-dessous), vous pouvez télécharger des données pour votre région d’intérêt qui identifient la date à laquelle le seuil (dans ce cas 380 DJG) sera atteint en hiver. Avec cet outil d’analyse, vous pouvez spécifier le seuil de température pour les degrés-jours (soit au-dessus ou en dessous d’un seuil de température), ainsi que le seuil total de degrés-jours accumulés.

Conclusion

À mesure que les températures hivernales moyennes continuent de se réchauffer partout au Canada, la viabilité des routes de glace hivernales devrait diminuer. Les conditions climatiques pour le préconditionnement devraient devenir moins favorables pour les routes de glace hivernales d’ici les années 2050 et dans les années 2080 pour Moosonee et Kapuskasing, car le seuil de 380 DJG ne devrait pas être atteint avant janvier pour ces communautés, ce qui retardera les dates de construction et d’ouverture de la route de glace. Les conditions climatiques pourraient également retarder considérablement l’ouverture de la route de glace pour Red Lake d’ici la fin du siècle. Cependant, les conditions climatiques pourraient demeurer favorables au préconditionnement jusqu’à la fin de 2100 pour Big Trout Lake et Lansdowne House. Cette analyse était basée sur le scénario d’émissions élevées (RCP 8.5), mais comme le montre la figure 1, un retard du démarrage de la saison des routes d’hiver est également projeté dans les scénarios d’émissions faibles (RCP 2.6) et modérées (RCP 4.5), mais dans une moindre mesure.

Cet exemple explore uniquement les conditions climatiques pour la période de préconditionnement de la construction de la route de glace, mais le réchauffement affectera également la durée pendant laquelle la route de glace peut être maintenue. On prévoit que la fonte printanière se produira également plus tôt à mesure que le climat se réchauffe. La prise en compte du raccourcissement de la saison d’accès aux routes de glace d’hiver est une information importante pour la prise de décision des communautés, où un accès fiable aux routes d’hiver est moins probable d’ici le milieu du siècle. Cette information peut être utilisée pour orienter la planification stratégique à long terme des communautés, y compris, pour le futur, des modes de transport alternatifs.

Éléments clés à retenir

  • Les routes de glace hivernales, comme la route d'hiver de la baie James dans le nord de l'Ontario, sont un moyen d'accès et de transport terrestre essentiel pour les communautés éloignées des Premières Nations.
  • Le réchauffement dû aux changements climatiques a déjà raccourci la durée de la saison des routes d'hiver, augmentant le coût de la vie et diminuant la qualité de vie.
  • Le nombre de degrés-jours de gel (DJG) pendant la période de préconditionnement des routes est un indicateur critique de la viabilité et de la longévité des routes d'hiver au cours du prochain siècle.
  • D'ici le milieu du siècle, les conditions climatiques pourraient raccourcir considérablement la saison des routes de glace pour plusieurs communautés des Premières Nations du nord de l'Ontario. Il s'agit d'une considération importante pour la prise de décision et la planification stratégique à long terme.

Encadré 2. Note sur l’ANUSPLIN versus les données futures projetées dans la figure 1

En utilisant les critères d’accumulation de degrés-jours de gel (DJG) décrits ci-dessus, dans la figure 1, il y a des années où les dates de début de la construction de routes de glace semblent être retardées dans les ensembles de données historiques interpolées sur grille (ANUSPLIN) (indiqué en orange). Il semble également que la variabilité du moment où le seuil d’accumulation de DJG est atteint augmente dans la dernière partie de cette série de données historiques pour plusieurs emplacements, en particulier pour Kapuskasing et Moosonee. L’examen des simulations climatiques démontre cependant que des conditions comparables ne devraient pas se produire avant le milieu du siècle et même au-delà.

Plusieurs raisons peuvent expliquer les différences entre les simulations de modèles et les conditions observées, et il est important de reconnaître les différences entre ces deux types de données. Premièrement, les modèles climatiques sont utiles mais pas parfaits ; ils fonctionnent à des résolutions spatiales relativement grossières et ne peuvent donc pas inclure directement tous les processus climatiques. Notre compréhension du système climatique n’est pas non plus complète, et les modèles continuent d’évoluer à mesure que notre compréhension s’améliore. Deuxièmement, on ne s’attend pas à ce que les simulations climatiques correspondent aux conditions observées au jour le jour ou même d’une année à l’autre. Chaque simulation climatique est une représentation unique des conditions climatiques possibles en réponse aux concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre et d’aérosols – pour pouvoir simuler un climat qui correspond parfaitement aux conditions observées, il faudrait à la fois un modèle climatique parfait et une connaissance parfaite de la composition de l’atmosphère, ce que nous n’avons pas. En raison de la variabilité naturelle du système climatique, le climat observé est lui-même une réalisation de nombreux climats possibles qui auraient pu résulter de la même composition atmosphérique.

De plus, le jeu de données sur grille ANUSPLIN a été interpolé à partir des données observées à des points précis. Dans certaines régions, en particulier le Nord canadien, ces observations sont réparties de manière éparse sur le territoires, ce qui peut affecter la robustesse de l’ensemble de données interpolées. Cependant, on attend à ce que les simulations climatiques et les conditions observées présentent des propriétés statistiques très semblables sur de longues périodes (par exemple, 30 ans), ce qui est le cas dans les exemples montrés à la figure 1. Les simulations du climat futur sont utilisées pour explorer l’éventail des conditions et des tendances futures possibles au fil dans le temps plutôt que de se concentrer sur les résultats de modèles climatiques individuels pour des années spécifiques.

Encadré 3 : Utilisation de la page Analyser pour consulter les degrés-jours de gel (DJG)

Cliquez ici pour accéder à la page Analyser. Puis :

  1. Choisissez le jeu de données BCCAQv2.
  2. Sélectionnez « Grilles » sous Sélectionner des emplacements.
  3. Choisissez votre variable d’intérêt – dans ce cas, « Date de dépassement des degrés-jour ».
  4. Entrez le seuil de température. Un seuil couramment utilisé pour les DJG est de 0°C.
  5. Sélectionnez un emplacement sur la carte ou utilisez la barre de recherche dans le coin inférieur droit pour rechercher un emplacement. Sélectionnez les cellules de la grille sur la carte pour votre emplacement choisi.
  6. Sélectionnez une année de début et une année de fin (une période minimale de 30 ans est recommandée) sous Choisir une période.
  7. Dans la section Avancé, spécifiez les modèles, les RCP, les centiles, la fréquence temporelle et le format de sortie souhaités. Les valeurs par défaut sont présélectionnées.
  8. Entrez votre adresse courriel et soumettez votre demande. Les données seront traitées et vous seront envoyées dans le format demandé.

Remerciements

Les auteurs remercient sincèrement les docteurs Yukari Hori et William Gough pour leur précieuse collaboration à cette étude de cas.

Références

Cette étude de cas a été inspirée et s’est appuyée sur les recherches suivantes :

  1. Hori, Y., Gough, W. A., Butler, K., & Tsuji, L. J. (2017). Trends in the seasonal length and opening dates of a winter road in the western James Bay region, Ontario, Canada. Theoretical and Applied Climatology, 129(3): 1309-1320
  2. Hori, Y., Cheng, V. Y., Gough, W. A., Jien, J. Y., & Tsuji, L. J. (2018). Implications of projected climate change on winter road systems in Ontario’s Far North, Canada. Climatic Change, 148(1): 109-122